En ce jour de commémoration de l’appel du Général de Gaulle du 18 juin 1940, une historienne et un historien de l’Université de Poitiers, Laurence MINITEL et François LEBASQUE, publient un article éclairant dans “Guerre Mondiale et Conflits Contemporains” intitulé “Histoire d’un nouveau type de résistance : Les Francs Tireurs Constructifs (FTC)”.

La découverte des FTC par les deux chercheurs a été le fruit d’un travail méticuleux d’exploration d’archives qui ont été découvertes récemment et jusqu’alors non encore étudiées. Il apparait qu’un autre mouvement de résistance concurrent aux FFL, FTP et autres Combat a été mis à jour par l’équipe de l’Université de Poitiers, Laurence Minitel nous explique :
C’est assez surprenant, nous n’avions jusque là jamais rien vu de tel. Le groupe des FTC s’est formé peu après le 23 juin et l’arrivée de la Werhmacht dans la ville. Tout de suite les bases de cette nouvelle forme de résistance, jamais encore décrites à ce jour, ont été posées : Bienveillance et Co-construction”.

Bien entendu dit comme ça, à la Nouvelle Réduslipe, nous avons du mal à voir en quoi cette position vis à vis de l’occupant Allemand pouvait faire figure de résistance. Face à notre circonspection, François Lebasque nous donne quelques éléments de réponse :
La première chose qu’il convient de noter c’est qu’ils n’ont jamais été dans une opposition systématique ni dans la lutte permanente. Ils jugeaient cette position non pertinente et inefficace. On peut le retrouver souvent dans leurs tracts de l’époque, le maître mot était “dialogue”. L’idée était plutôt que de vaincre l’occupant, de le convaincre de l’absurdité de ses actes”.

Y.G. a conduit pour la Nouvelle Réduslipe la suite de l’entretien avec les deux chercheur·e·s.

Y.G. : “Quels étaient les rapports qu’entretenaient ce groupe avec la Résistance à Poitiers ?
L.M. : “D’après les documents que nous avons à notre disposition, cela a été changeant. Il y a pu avoir des périodes de tension et d’autre ou il y avait un cohabitation cordiale qui passait probablement par le fait que la Résistance au sens classique et traditionnel du terme ignorait tout simplement les FTC”.

Y.G. : “Quelles étaient les actions menées par ce groupe ?
F.L. : “Il n’y avait pas à proprement parler d’action précise, c’était plutôt des prises de position, des réunions clandestines. Nous avons par exemple un extrait d’un compte rendu de l’une de leur réunion clandestine :
Habitants et habitantes de Poitiers, l’occupation n’est pas souhaitable et nous en convenons aux FTC, cependant, si nous voulons faire la transition pour un monde meilleur, il nous faut arrêter d’être contre, arrêter d’être en lutte permanente et dans une opposition systématique. Nous devons être force de proposition. Nous avons en face de nous des SS certes, mais ceux-ci sont avant tout des êtres humains allemands que nous pouvons convaincre du bien fondé de nos positions. C’est comme ça que nous arriverons à construire un monde meilleur, dans le respect des sensibilités de chacune et de chacun, dans une construction s’appuyant sur le diagnostic partagé de tous les partenaires du territoire, armée d’occupation comprise, en ne négligeant aucun acteur de ce dernier, que nous pourrons construire les jours heureux”.

Y.G. “Oui mais ça c’est du vent, concrètement ils ont fait quoi ?
L.M. “Ils ont essayé plusieurs fois d’aller parler au préfet Bourgain pour l’inciter à moins collaborer avec les occupants. Ils se félicitent d’avoir obtenu, je cite :“une écoute attentive et sérieuse à leurs revendications”. Les FTC ont écrit beaucoup de compte rendu de leurs réunions et misaient sur la transparence même si ce mot n’était pas utilisé ainsi à l’époque. Ils affichaient leurs compte-rendus de réunion sur les murs du centre-ville, en particulier sur la place Charles VII. Ils ont rencontré beaucoup de monde chez les occupants comme chez les collaborateurs (NDLR, à l’époque ce terme ne désignait pas un exploité (“un salarié”) mais bien une personne apportant son soutient à l’occupant), car ils considéraient qu’il fallait je cite de nouveau “parler avec tout le monde et sans apriori pour pouvoir construire le monde d’après”.

Y.G. : “Vous avez d’autres exemples de compte-rendus de ces discussions con-structives ?”
F.L. “Oui tout à fait, l’une d’entre elle est assez éclairante, c’est de nouveau avec un membre de la préfecture de la Vienne :
“Aujourd’hui, jeudi 27 janvier 1944, nous avons rencontré les services de la préfecture de la Vienne. Cette dernière est accusée par les FTP d’apporter un soutien inconditionnel à l’occupant. Aux FTC nous ne souhaitons pas nous positionner en opposant systématique, car c’est une démarche qui n’est pas constructive, qui est stérile. Nous considérons qu’il faut parler avec tout le monde et…

Y.G. “Pardon je vous coupe, mais ils resservent ce discours à chaque compte rendu ? vous pourriez aller directement au fait ?
L.M. “Je vais prendre ton relais. Oui en effet c’est une caractéristique des documents qui ont été rédigés par les FTC. Alors, il faut que je tourne la page, voilà :
La rencontre de ce jour nous a permis de transmettre à l’équipe du préfet de la Vienne notre message bienveillant vis à vis des éleveurs de colibris de la ville de Poitiers. Nous leur avons fait part de nos rencontres avec les éleveurs et éleveuses de colibris de la ville qui ont toutes et tous mises en avant la volonté des éleveurs et éleveuses de colibris de Poitiers de ne pas être déporté·e·s. Nous avons donc demandé, solennellement, qu’un engagement oral soit pris par la préfecture qu’aucun éleveurs de colibris ni aucune éleveuse de colibris de la ville ne serait déporté dans les jours à venir. Cet engagement a été obtenu en échange de la liste des personnes que nous avions rencontré. Cet échange de bons procédés est le signe qu’il est possible d’être constructif et que le dialogue est efficace”.

Y.G. “Et ça a fonctionné ?”

Photographie du train qui a servit à la déportation des éleveurs de colibri

F.L. “Non pas du tout, le 31 janvier 1944, 4 jours plus tard, avait lieu, avec le concours de la préfecture la rafle de tous les éleveurs de colibris de Poitiers. D’ailleurs, le dernier compte rendu des FTC indique je cite :
“que les FTP considèrent injustement que cette réunion est à l’origine de la rafle, et qu’il est urgent d’organiser une rencontre pour dialoguer et échanger autour des divergences de positionnement quant à la position à tenir vis à vis de l’occupant. La rencontre est fixée au 6 février 1944 et nous invitons tous les membres des FTC à y participer”. Finalement le 6 février, la réunion a bien lieu mais ne durera pas longtemps puisque les FTC seront tous tués par les FTP, les considérant comme des collaborateurs. Un incendie se déclare peu après cette réunion dans le local des FTC. C’est la raison pour laquelle nous n’avions jamais entendu parlé d’eux jusqu’à présent, heureusement que nous avons retrouvé toutes ces archives qui étaient des copies réalisées à l’époque pour je cite “assurer la transmission d’un savoir bienveillant en temps de crise””.

Y.G. “Je vous remercie pour cet entretien qui permet d’apporter un nouveau regard sur cette résistance bienveillante, qui ne dit pas son nom de collaboration !”.

Y.G.