Comment une mairie, identifiée à gauche, peut-elle fermer des services publics ? C’est une excellente question, la NRSLIP revient sur cet épisode de la vie pictavienne pour vous, avec des infos exclusives en fin d’article.
C’est dans Centre Presse et chez France Bleu que l’information est parue en premier dans la presse, en date du 2 février. Dans les deux articles, le même constat : le CCAS fait face à la conjoncture difficile et voit son déficit se creuser. De plus, la dépendance financière grandissante à la ville de Poitiers du CCAS contraint ces derniers à devoir fermer la résidence autonomie Edith-Augustin quartier de la Blaiserie et son service de crèche familiale. Les arguments de la mairie sont simples : ces services ne sont pas efficaces. Contactée par notre équipe, Coralie Jean-Brouille nous a expliqué le pourquoi du comment :
CJB : « Regardez ce tableau excel, vous voyez bien que les taux d’occupation de ces services ne sont pas les mêmes. Le service de crèche individuelle a un taux d’occupation moins élevé que les services de crèches collective. 65% contre 82%, vous vous rendez compte ? C’est quand même 17% d’écart, 17%. Vous imaginez tout ce qu’on peut faire avec 17%. Non vraiment ça ne va pas. On paie ces agentes municipales pour rien, elles ne travaillent pas assez, 17% d’écart, il faut rationaliser tout ça, les chiffres parlent d’eux-mêmes ».
Les chiffres parlent d’eux-mêmes
Coralie Jean-Brouille
Les familles qui bénéficient de ces services ont quant à elles une autre explication : « Le service des crèches familiales est très satisfaisant pour nous, nous y trouvons notre compte. Cependant l’explication est très simple, quand on se tourne vers le CCAS pour obtenir une solution de crèche, on est systématiquement orienté vers la crèche collective, sans nous présenter l’alternative de la crèche familiale. De notre point de vue c’est un choix politique assumé depuis plusieurs années en vue de faire crever ce service. Aujourd’hui c’est bien simple, si on veut une solution de crèche familiale on va devoir aller au privé où c’est bien plus cher. Et puis, cette stratégie pourrie qu’ils ont utilisée avec les crèches familiales, qui nous dit qu’ils et elles vont pas faire la même avec les collectives ? ».
Nous avons souhaité confronter Coralie à ces allégations :
CJB : « Vous voulez que je vous dise quoi ? Les crèches familiales ça coûte trop cher, pour la même somme d’argent et avec le même nombre d’agents on peut faire garder plus d’enfants dans les solutions collectives. Et puis nous on est Poitiers Cocolectif pas Poitiers Familiale. Donc oui on a volontairement fait en sorte de proposer les solutions collectives aux parents de telle sorte qu’à la fin on arrive à ces 17% d’écart. Mais quand même 17%, ça nécessite bien la fermeture de tout le service, non ? Et puis 44 enfants c’est pas tant que ça, vous allez pas nous chier une pendule quand même, si ? »
Le lendemain, l’information est reprise chez Angers Info. Le 7 aborde le sujet le 7 février, tout comme France 3 région. On y apprend que la mairie est consciente que ces changements peuvent amener du trouble dans la vie des personnes concernées. La CGT rappelle la brutalité d’imposer ce genre de changement à des personnes centenaires. Madame Jean-Brouille a quant à elle précisé les chiffres concernant la résidence Édith Augustin :
CJB : « C’est très simple, regardez encore une fois ce tableur excel. Vous voyez, les lignes en vert ça veut dire qu’il y a des places de libre. Bon, hé bien si je prends le nombre total de places libre dans les 3 autres résidences d’autonomie de la ville de Poitiers, il y a suffisamment de places pour refourguer, pardon, reloger les résident.e.s d’Édith Augustin. Vous voyez les lignes vertes, on est d’accord ? 75% de taux d’occupation, 75%, ça veut dire qu’un quart des logements sont vides, on va rationaliser tout ça vous allez voir.«
NRSLIP : »Vous parlez comme une gestionnaire d’entreprises, c’est assez glaçant d’entendre une membre du PCF (Parti Comptable Français) parler ainsi«
CJB : « Les chiffres ont parlé. Ah, oui, j’oubliais, il y a aussi beaucoup d’amiante, ce serait trop cher d’envisager de rénover le bâtiment, le mieux est encre de virer les vieux, détruire tout ça et de revendre à des promoteurs immobiliers« .
En ce qui concerne l’amiante, la CGT des territoriaux explique que cela fait 15 ans que le sujet est connu de tous et toutes, et que cette décision leur tombe dessus du jour au lendemain. Vincent Bouillant n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : « La gauche, le camp progressiste, normalement il ouvre des services publics, ça fait depuis 1977 que notre camp fait ça, et là, du jour au lendemain on nous annonce que c’est fini, qu’il va falloir trouver un autre métier, se former, changer. Ces gens-là ne sont pas dans notre camp, ce sont des libéraux, les masques tombent« .
Ces gens là ne sont pas dans notre camp, les masques tombent
Vincent Bouillant
Le changement c’est maintenant ! Le temps est donc venu pour ces résidentes et résidents d’Édith Augustin de changer de lieu de vie ; pour les agents et agentes de changer de lieu de travail ou même de travail ; pour ces familles de changer de crèche, pour ces enfants de changer de garde d’enfant. Mais comme on le dit dans le camp de Poitiers Cocolectif, « le changement ça bouscule et c’est plutôt salvateur à terme«
Le changement ça bouscule et c’est plutôt salvateur à terme
Militant Poitiers Cocolectif
Le 8 février, nos confrères de Centre Presse reviennent une nouvelle fois sur le sujet, avec un angle plus accès sur la résidence Édith Augustin et la réception de l’annonce par les résidentes et résidents ainsi que par le personnel. On y apprend par exemple que la doyenne de la ville habite dans cette résidence. Il semblerait que ni les résident.es ni les personnels n’aient été consulté.es et que la décision de la fermeture leur est tombée dessus telle un orage dans la vallée de la Roya. Un peu abasourdi par le tonnerre, la CGT des territoriaux et les usagers de la crèche familiale ont lancé deux pétitions, relayées sur web86.info. Cette lutte contre la fermeture de ces services municipaux a trouvé un écho dans le mouvement de lutte contre la contre-réforme des retraites.
C’est dans cette temporalité que la majorité municipale a pris le temps de rédiger un article sur son site web pour expliquer sa décision. L’article commence donc par « un peu de pédagogie budgétaire« . Ce champ lexical, qui nous ramène au statut d’élève ou d’enfant, nous place dans une posture d’ignorance face aux raisonnables personnes qui sont en charge de notre municipalité. Ils sont le camp de la raison, nous sommes des ignorants. Il est possible que ce champ lexical vous rappelle celui tant usé par notre gouvernement, Slate a d’ailleurs fait un article sur la « pédagogie » comme instrument politique. On apprend donc, que le CCAS ce sont des charges, qui explosent, et que, plutôt que de chercher à peser politiquement pour ne pas que les prix de l’énergie augmentent, on apprend donc que si la contribution de Poitiers au CCAS ne fait qu’augmenter d’année en année il y a des contreparties nécessaires, et nous revoilà servis avec les taux d’occupation si chers à notre Jean-Brouille municipale. Nous vous laissons libre de lire en entier leur démonstration pédagogique.
Le 8 mars 2023, une chaîne Youtube voit le jour : Défense du CCAS de Poitiers. Sur cette dernière, une série de vidéos, réalisées par le gôchiste et réalisateur Jérôme Van Der Poel. A ce jour, 14 épisodes. Pour conserver notre chronologie attardons-nous sur la vidéo du 21 mars 2023. Dans cet épisode 9, nous suivons deux salariés qui vont à une rencontre avec la mairesse. Conclusion : « une perte de temps !« . La symbolique de la porte fermée, empêchant la caméra de filmer les échanges est lourde de sens (voir à 2 minutes). A cette date, la mairie reste ferme sur sa décision, elle va fermer Édith Augustin, la mairie est le camp de la raison.
Dans un article du 24 mars 2023 au 7, on apprend que la majorité municipale avait « fait le choix d’une annonce directe aux résidentes et résidents, aux agents et agents, et du respect du calendrier des institutions. Les instances paritaires, espaces de dialogue, n’ont pas pu se tenir et nos engagements, maintes fois réitérés, d’un accompagnement intégral des usagers comme des personnels concernés, n’ont pas été entendus« . Encore une fois, le lexique et la rhétorique employée ressembleraient à s’y méprendre à la communication utilisée par le gouvernement sur la réforme des retraites.
Le CA du CCAS a eu lieu le 6 avril dernier et a été documenté en vidéo dans l’épisode 13. Le visage de la mairesse lors de l’entrée des résidentes dans la salle du CA, autant que sa première phrase, illustrent le mépris de classe d’une bourgeoise tenante de la démocratie et des décisions légitimes face à des empêcheurs de tourner en rond. La rhétorique employée ici rappelle celle des dominants qui demandent calme et respect de la parole quand la mairesse use de questions rhétoriques auxquelles il devient totalement malpoli de répondre. Vous pourrez vous faire votre propre avis sur la question en regardant l’épisode 13.
La mairie a été contrainte d’organiser une réunion publique (voir épisode 14) mi-avril pour apaiser et expliquer. A la sortie de cette réunion, il semblerait que personne n’ait été convaincu, comme le rapportent France 3 région et Centre Presse. La mairesse a indiqué que le CA du CCAS sera l’instance qui scellerait la décision, à l’éclairage des éléments apportés lors de l’échange de la réunion publique et des rencontres précédentes. Réponse au mois de mai…
Mais alors, comment ces gens brillants et sortis d’école de sciences politiques ont pu se prendre les pieds dans le tapis à ce point ? C’est encore Charles Reblochon-Pigeon qui nous en parle le mieux :
CRP : « J’ai fait mes recherches, j’ai regardé les couvertures presses sur des sujets similaires dans d’autres villes, à chaque fois, après un mois, en général ça se tasse. J’ai dit à Léonore : La stratégie est simple, on annonce ça en février, ça chiale un peu dans les chaumières jusqu’en mars, mais après tu verras, aux vacances de printemps tout le monde sera passé à autre chose. Visiblement il y a quelque chose que nous n’avions pas prévu dans l’équation, un terme manquant. On a beau chercher, on n’a pas encore trouvé« .
Tout cet article un peu long pour quoi ? Pour rappeler que dans le monde imaginaire de la NRSLIP, la ville de Poitiers est aux mains des libéraux, qui font entrer des services privés concurrents au service public de location de vélo via Pony et ses vélos en libres service et qui maintenant nous démontrent qu’ils voient les êtres humains, bébés ou vieillards comme des chiffres, que l’on peut ajuster à façon. Nous ne sommes que des chiffres pour ces gens-là. Heureusement que dans le monde réel ce n’est pas comme ça. Mais si jamais votre réalité ressemble à la fiction décrite ici, alors apportez votre soutient à cette lutte contre la fermeture de ces services publics, et rappelez à nos élu.es que derrière les chiffres il se cache des êtres humains, allez voir le travail de documentation de toute cette affaire par J. Polidor.
Y.G.