Coïncidence de l’histoire, en ce jour où nous signalons le décès de Pierre Rabhi, le « paysan philosphe de l’ardèche », les archives locales dévoilent la vie de Pierre Radis un militant écologiste controversé de Poitiers, qui à l’instar de son fils spirituel Pierre Rabhi, était lui aussi rose et blanc. Son parcours laisse des coïncidences troublante. Retour sur la vie d’un écologiste conservateur et incompris tombé dans l’oubli dans des conditions tragiques.

Pierre Radis, fils d’un cultivateur de betteraves et d’une mère fonctionnaire de mairie est né en 1912 à Sainte Radegonde (Vienne) et décédé à Poitiers le 4 décembre 1981 à la prison de la Pierre Levée. Si l’Histoire tant nationale que locale ne le retient pas, c’est que sa notoriété a été de courte durée (de 1970 à 1971) puis brutalement interrompu par une peine de prison à perpétuité qui a eu raison de ses jours.

« spiritualité et maraîchage »

Pierre Radis a été ouvrier agricole dans l’exploitation familiale jusqu’au décès de son père, jour où il reprit l’exploitation familiale en 1967. C’est alors qu’il décide, libéré de l’autorité parentale, de réorganiser son exploitation à son goût, et d’essayer des techniques de culture sans engrais et sans pesticide qui émergeaient. Traumatisé par le fait que son lapin de compagnie avait terminé dans la casserole quand il était enfant, Pierre Radis avait même décidé de se passer de compost, de fumier et de purin. D’après une interview de la Nouvelle République de l’époque, dont nous reprendrons plusieurs extraits «  les animaux sont les sujets de Dieu, comme les humains, pas les sujets des hommes ». Pierre Radis était en effet très croyant ce qui a influencé son parcours. Les premiers résultats des récoltes de 1968 étaient catastrophiques, ce qui a poussé Pierre Rabhi à trouver des fertilisants naturels en détournant le réseau d’assainissement de la commune, toujours dans l’idée de ne pas exploiter les animaux. Mais si les légumes de 1969 étaient plus verdoyant les mauvaises herbes envahissaient les cultures. En cette période d’émergence des alternatives politiques et écologiques il décida d’ouvrir sa ferme au grand public sous forme de stages « spiritualité et maraîchage ». C’est ainsi que chaque semaine, il recevait 4 à 5 stagiaires, typiquement des soixante-huitard parisiens qui venaient y trouver une formation dans l’espoir de s’installer. Au départ d’inscription gratuite, les stagiaires y recevaient les 5 heures de théologie quotidienne qui contrairement au engrais étaient de synthèse puisqu’un croisement entre le catholicisme et les spiritualités orientales. L’après-midi était consacré au travail de la ferme. En échange d’être formés les stagiaires s’assuraient de la bonne pousse des betteraves. Le rendement de l’exploitation augmentait, mais à raison d’un stage par semaine la récolte était vite auto-consommée sur place, et le paysan philosophe du Haut-Poitou décida de facturer ses formations pour vivre.

« Aide-toi, le ciel t’aidera, les problèmes du monde extérieur ne sont que le reflet de tes problèmes intérieurs ».

Assez vite, le mouvement écologiste naissant tenta de l’approcher, voyant en lui l’alternative concrète qu’il manquait dans le département, (nous n’avions ni Larzac, ni NDDL sur place, donc aucun os à ronger pour ces ultra-gauchistes anti-tout). De fil en aiguille, le nom de Pierre Radis fut suggérer à la gauche poitevine en vue de l’élection municipale à Poitiers en 1971. Malgré son installation à Sainte-Radegonde, Pierre Radis venait d’acquérir un terrain dans le bas des sables sur l’actuel ilôt Tison en vue d’y diversifier ses activités (NDLR : le fait que la pelouse n’y pousse pas aujourd’hui n’est qu’une coïncidence), ce qui l’autorisait à se présenter

Très vite la rivalité avec le PCF, qui revendiquait la tête de liste en la présence de Tony Bas-de-Laine se fit sentir. Ce dernier fit publier un tract « Pierre Radis réinvente l’esclavage, non content de faire travailler gratuitement des stagiaires pour cultiver son champ, il fait carrément payer à ces derniers leur droit à être esclave ».

Ce à quoi Pierre Radis aurait répondu « Aide-toi, le ciel t’aidera, les problèmes du monde extérieur ne sont que le reflet de tes problèmes intérieurs ».

Affiche de la campagne municipale avortée de Pierre Radis

Cacher des collaborateurs pour qu’ils échappent à la résistance

Le ton était plus virulent de la part de la section communiste de Châtellerault qui de la plume de Paul-Raymond Jamais et Renée Mourrons écrivait le communiqué suivant « Pierre Radis vend à des esclaves, sous prétexte de spiritualité, la soumission des travailleurs face aux grands Kapital, nous devons barrer la route à cet ennemi du prolétariat » . La virulence de ces propos est à mettre en perspective selon Benjamin Brillant, historien du site « Notez biens » avec le fait que, les deux précités étaient des résistants communistes et que Pierre Radis était proche du préfet Bourgain. En effet il s’avéra que Pierre Radis, à défaut de collaborer outrancièrement avait en réalité planqué des collaborateurs dans sa ferme en 1944 afin que ceux-ci échappent à la résistance. Il s’en défendait en disant « derrière tout collaborateur, derrière Pétain, il y a une conscience qu’il faut pousser à l’insurrection ».

D’où provenait cette candidature ? « Elle émanait principalement du nouveau PS, qui cherchait un social-traitre de plus pour grossir ses rangs et affaiblir son rival communiste. La proximité de Radis avec la collaboration fut un atout pour ce rapprochement avec le PS, qui comprenait dans ses rangs un ex vichyste du nom de Mitterrand. »

« sa culture d’herbes était magique, et quand on fumait ça on était tout aussi perché que lui, et je crois que je ne m’en remettrai jamais »

Le mouvement écologiste était divisé : une partie d’entre eux issus de la bourgeoisie, tel Robert Gros-Choux (actuel adjoint au budget) voyait le personnage avec de la bienveillance : « avec Radis c’était la promesse de mettre fin à cette société soviétisante issu du conseil national de la résistante, mais en attirant les jeunes écologistes dont j’étais. Sa philosophie m’a beaucoup influencé dans mon refus obstiné de la gratuité des transports qui donne de mauvaises habitudes aux peuvres ». D’autres comme François Machinal des Amis de la Gadoue relatait « Bien entendu il était réac, mais si sa culture de légume ne marchait, pas sa culture d’herbes était magique, et quand on fumait ça on était tout aussi perché que lui, et je crois que je ne m’en remettrai jamais ». Quant au PSU (parti auto-gestionnaire écologiste) il gardait ses distances, un responsable de l’époque nous confie « certes nous avions des cathos de gauche dans nos rangs mais nous n’étions pas partisans d’une église à la solde du Kapital. Pierre Radis comme l’abbé Pierre était des figures à la mode, mais qui au moment où tous les mouvements de masses catholiques telle que les JOC, rejoignaient les revendications alternatives et anticapitalistes, ils étaient bien silencieux voire complaisant avec la bourgeoisie. Pendant que les syndicats cathos luttaient sur le Larzac et avec LIP, Radis allait parler à Pierre Vertadier, maire gaulliste de Poitiers, pour lui proposer de faire passer la pénétrante faubourg Jean-Jaurès afin de raser la bourse du travail, plutôt que par les jardins diocésains des feuillants. Ce non pour s’opposer à cette horrible voie rapide, mais simplement pour s’attaquer une fois de plus au mouvement ouvrier ».

Tony Bas-de-Laine, rival communiste de Pierre Radis à l’élection municipale de 1971

« rose social-traitre à l’extérieur, blanc royaliste réactionnaire à l’intérieur ».

Il faut dire que l’anticommunisme était de famille chez les Radis, d’où la culture de betterave qui selon les dires de ceux qui l’ont connu état une façon symbolique de faire manger du rouge.

Il va de sois que le milieu féministe et et les militants de la cause homosexuelle à Poitiers étaient eux aussi hostiles à Pierre Radis. Le FHAR avait publié « Pierre Radis porte bien son nom : rose social-traitre à l’extérieur, blanc royaliste réactionnaire à l’intérieur ».

La réaction la plus étonnante fut celle de la direction nationale du Parti Communiste. La crainte que Pierre Radis prenne la tête de liste municipale au lieu de Tony Bas de Laine était telle que Waldeck Rochet, premier secrétaire fit le déplacement à Poitiers. Fort de son passé de maraîcher Waldeck Rochet espérait ainsi décrédibiliser le discours de Radis sur ce plan, bien que le PCF ne se souciait peu d’écologie à cette époque. Ainsi avec l’aide de la section agricole du PCF, un documentaire avait été projeté au Dietrich où l’on voyait Waldeck Rochet tenir ce discours « prenez ce Radis cultivé par pierre Radis, sans pesticide, irrigué par un hochet à prière à la pleine lune et de la corne de cerf broyée. Il n’a pas de goût. Prenez ce radis de Waldeck Rochet sans pesticide arrosé par mon enrouleur goutte à goutte soviétique avec la même quantité d’eau. C’est le même radis ! Comme le disait Engels, la preuve du pudding c’est que j’en mange. Et mon pudding, je le préfère avec du lait entier de la ferme de mon voisin dédé, et non du lait de soja chinois de ces affreux maoïstes avec lesquels nous avons rompu, du lait sans graisse tel que doit le manger Pierre Radis et ses ouailles. ».

Une fin tragique : « je n’avais pas mangé de viande depuis 50 ans, je n’en pouvais plus »

Malgré cela Pierre Radis jouissait d’une certaine popularité et structurait son mouvement politique au sein de l’organisation « poudre de perlimpimpin et humanisme » fondée deux ans plus tôt et tout tout juste rebaptisée « les Grosdébris » dont le slogan était « faire sa part car c’est avec les petits déchets qu’on crée de la richesse ». Mais toute bonne chose a une fin. Lors d’un stage de méditation-végétation, Pierre Radis, en bon guru qui se respecte, viola la fille d’un des stagiaires, militants écologiste, l’assassina et mangea son cadavre. Ce qui suscita un tollé. Jugé aux assise il dira même « je n’avais pas mangé de viande depuis 50 ans, je n’en pouvais plus ». Il fut condamné à perpétuité et mourut en 1981 en prison, non sans avoir été poursuivi également pour escroquerie du fait que les finances de ses fondations et exploitations agricoles présentaient des mouvements financiers suspect. Tony Lainé fut désigné candidat aux municipales en 1971, et les militants locaux traumatisés par l’affaire Radis, décidèrent d’oublier toute cette histoire.

Enquête par Edwy-Plein air avec l’éclairage de la chaîne « Notez Bien » que nous remercions.